Argentine : premières mesures pour une reprise attendue.
Le 16 décembre 2015, le gouvernement de Mauricio Macri a annoncé la fin du contrôle des changes mis en place depuis 2011[1]. A compter de cette date, un grand nombre de mesures non tarifaires touchant aux importations ont été levées et de nombreuses mesures fiscales ont continué à être prises. Ces mesures étaient attendues.
Plusieurs mois s’étant écoulés il était important de présenter les principales nouveautés prises dans les domaines précités. C’est l’objet de la première partie de cette lettre.
Rappelons que l’Argentine connaissait (de droit et surtout, de fait) un système de contrôle des changes, qui limitait les échanges internationaux et la possibilité pour les entreprises et les personnes physiques de pouvoir librement acheter des devises étrangères. Du fait de ces contraintes, un marché dit informel s’était développé et était devenu incontournable[2]. A la veille de la fin du contrôle des changes, le dollar s’échangeait à 9,78 pesos au marché officiel, mais à près de 15 pesos, soit 53% de plus, au marché parallèle.
En ce qui concerne le commerce international, les importations faisaient l’objet d’un encadrement particulièrement lourd qui de fait les limitait. Le nouveau gouvernement – sous la pression, il est vrai, de l’OMC – a décidé l’abandon de nombreuses de ces mesures restrictives. S’agissant des exportations, il a notamment supprimé la majorité des taxes, à l’exception de celles pesant sur les ventes de soja, principale source d’entrée de devises du pays (environ 2/3 des exportations argentines). Enfin les derniers mois ont été marqués par des mesures de nature fiscale visant à attirer en Argentine les capitaux détenus à l’étranger par des nationaux.
Par ces mesures, le gouvernement cherche indiscutablement à favoriser le développement tant des investissements que du commerce international. Elles s’inscrivent dans une volonté annoncée de « normalisation » et de libéralisation de l’économie, après douze ans de forte intervention de l’Etat et de mesures protectionnistes.
Par ailleurs nous avons considéré qu’il pouvait être intéressant de présenter succinctement, dans une deuxième partie, les principaux régimes de change qui ont été mis en place en Argentine depuis 1930.
I – Principales mesures prises par le gouvernement actuel
A. Le contrôle des changes et commerce international
Faisant suite à l’annonce de la levée du contrôle des changes en décembre 2015, les autorités argentines se sont employées, ces onze derniers mois, à prendre les mesures nécessaires à la levée des restrictions dans ce domaine, en matière de commerce international ainsi que favorisant les investissements.
Rappelons que le « cepo » [3] avait été mis en place progressivement à partir d’octobre 2011 par des mesures réglementaires ou par l’usage de pouvoirs de supervision du secteur financier, sans intervention législative. Aucune intervention législative n’a donc non plus été nécessaire pour libéraliser le régime de change.
En matière de contrôle des changes, la Banque Centrale de la République d’Argentine[4] a introduit les changements substantiels à travers une première disposition réglementaire[5]. Cette disposition, complétée par d’autres les mois suivants, a supprimé ou assoupli les restrictions qui limitaient l’achat et le transfert de devises.
Par ailleurs, l’Administración Federal de Ingresos Públicos (ci-après AFIP)[6] et le gouvernement ont pris des mesures afin de faciliter les importations et exportations de biens et marchandises maintenant toutefois certaines mesures.
1. Achat de devises
Avec la levée du contrôle des changes, le « cepo » argentin, les personnes physiques ou morales résidant en Argentine peuvent désormais acheter – presque – librement des devises.
L’accomplissement des formalités d’information auprès des autorités argentines demeure mais se veut extrêmement simplifiée. Ainsi une simple declaración jurada sera dorénavant exigée sans qu’il ne soit nécessaire de fournir de pièces justificatives. L’avenir dira toutefois si l’exigence de communiquer certains documents ne sera pas réintroduite dès lors que certaines exceptions demeurent et que la pratique des administrations argentines, selon notre expérience, consiste à toujours solliciter davantage l’administré. L’autorisation préalable n’est plus exigée[7] pour les opérations suivantes : achats de bien immeubles situés à l’étranger, prêts à des non-résidents, investissements directs et de portefeuille à l’étranger. La limite du montant de ces opérations a été augmentée progressivement puis supprimée le 8 août 2016 (pdf) (ce même règlement a supprimé l’autorisation préalable de la BCRA requise pour que les résidents argentins opèrent sur certains produits dérivés tandis qu’un autre du même jour (pdf) est venu fixer le régime de ces transactions).
De plus, pour les entreprises argentines, il est désormais possible de recevoir des paiements en dollars depuis l’étranger directement sur leur compte argentin alors qu’auparavant la conversion en pesos au taux officiel était obligatoire.
2. Importation de marchandises
De manière singulière, le précédent gouvernement avait cherché à limiter les importations de marchandises de deux manières différentes mais complémentaires : d’une part en rendant difficile pour les importateurs de se procurer les devises nécessaires pour payer les marchandises et d’autre part en édictant des mesures non tarifaires, sous couvert d’obligation de fournir des informations à but statistique.
Sur le premier point, le premier règlement de la BCRA[8] établit expressément que l’importation de biens s’effectue désormais sans limite de montant mensuel.
Sur le second, et dans le même esprit, l’AFIP[9] a remplacé le système des Declaraciones Juradas Anticipadas de Importación (DJAI) mises en place en janvier 2012 par un Sistema Integrado de Monitoreo de Importaciones (SIMI), système nettement plus souple.
Il est à noter que sur ce point, l’Argentine avait été condamnée, en 2015, par l’organe d’appel de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)[10]. Saisie par l’Union européenne, les États-Unis d’Amérique et le Japon, l’Organisation a contraint l’Argentine à revoir profondément ses pratiques en matière d’importation de marchandises et en particulier son système de DJAI.
Le nouveau gouvernement a donc remplacé l’ancien système par le SIMI, l’importateur disposant alors d’un délai de 180 jours pour faire entrer dans le pays les marchandises à compter de la déclaration de l’importation aux autorités douanières.
Le mécanisme SIMI se divise entre les licences automatiques (licencias automáticas) et non automatiques (licencias no automáticas ou LNA) selon le type de marchandises importées car le gouvernement souhaite garder la main sur certains secteurs[11], tels que les produits dérivés chimiques, le bois et les automobiles, entres autres.
3. Services
La réglementation établit expressément, lorsque les résidents argentins paient ou vendent une prestation de service à l’étranger, que ces transactions ne font plus l’objet d’une limite de montant mensuel.
L’Argentine avait mis en place depuis plusieurs années un mécanisme contraignant en substance les exportateurs (tant de biens que de services, mais dans des conditions différentes) à faire entrer dans le pays les devises obtenues à l’étranger et à les changer contre des pesos[12]. Ces dernières années le mécanisme était vécu par les exportateurs comme une véritable spoliation puisque le taux de change officiel imposé était artificiellement bas. Le nouveau gouvernement a entrepris de favoriser les exportateurs en atténuant fortement ces obligations.
En principe, l’obligation de changer les devises en pesos demeure mais le délai est amplement étendu. L’argent peut être conservé sur un compte argentin en monnaie étrangère pendant un an[13], seul le solde devant être converti en peso à l’issue du délai de 365 jours[14].
Par ailleurs, pour le paiement de services en faveur d’une société du même groupe l’autorisation préalable de la BCRA n’est plus requise.
De même, les formalités d’information seront simplifiées lorsqu’il s’agira d’exportations vers un client habituel (dans la limite de 100 millions mensuel). Un système de pré-enregistrement via une application en ligne permettra d’accélérer et faciliter les démarches d’intégration.
4. Dépôt obligatoire en matière de prêt (Resolución 3/2015 du Ministerio de Hacienda y Finanzas Públicas)
La nouvelle norme vide de ses effets le régime de dépôt obligatoire ou «encaje » mis en place en 2005. Ce système imposait, sauf exceptions, la constitution d’un dépôt équivalent à 30% du montant des devises entrant en Argentine, et ce pour une durée de 365 jours et sans rémunération. Ce n’est qu’une fois passé ce délai que les fonds consignés redevenaient disponibles. Cette mesure visait à décourager les mouvements de capitaux à court terme, sources de déséquilibres potentiels.
La durée du dépôt est réduite à 120 jours et le pourcentage est baissé à 0%. Sur le plan juridique, cette norme dont le mécanisme n’est de fait plus actif, n’a pas fait l’objet d’une abrogation. Le système subsiste, ce qui peut laisser quelques doutes quant à son application et sa mise en œuvre dans le futur. En d’autres termes, un nouveau décret pourrait facilement rétablir un pourcentage (10 ou 20% par exemple).
5. Rapatriement des investissements
Désormais, les non résidents argentins n’ont plus l’obligation d’obtenir l’autorisation préalable de la Banque Centrale pour rapatrier leurs investissements. L’obligation de conserver les fruits de l’investissement en Argentine durant un an disparaît pour les investissements directs. Toutefois, concernant les investissements de portefeuille, cette obligation de les conserver sur un compte argentin durant un délai minimum de 120 jours demeure.
On notera que les banques et autorités financières sont désormais autorisées à réaliser des opérations de change entre deux monnaies étrangères pour leurs clients sans passer par le peso[15], sous réserve de l’enregistrement régulier des investissements.
Le rapatriement des investissements est donc significativement simplifié.
6. Suppression des taxes à l’exportation
Outre l’ensemble de la nouvelle réglementation applicable à l’entrée et à la sortie de devises, le gouvernement de M. Macri a également réduit ou supprimé certaines taxes à l’exportation[16].
Dans le secteur clé pour l’Argentine qu’est l’agriculture, il a été procédé à la suppression complète des taxes à l’exportation pesant sur le maïs, le blé et les viandes bovines ainsi que la réduction de 35 à 30% de la taxe sur le soja.
Ces taxes élevées étaient un point de dissension entre les professionnels du secteur et l’Etat depuis de nombreuses années. Le Président récemment élu a ainsi souhaité « tourner la page et emprunter un nouveau chemin de construction et coopération entre le secteur agricole et le secteur public »[17].
Enfin en février dernier, le Chef de l’Etat a décrété la suppression complète des taxes sur les exportations du secteur minier. Elle avait partiellement été mise en place par le décret du 16 décembre 2015[18].
B. Autres mesures
1. Nouvelle amnistie fiscale
Le 29 juin dernier, le Congrès argentin a adopté une loi présentée par le gouvernement Macri prévoyant notamment une nouvelle amnistie fiscale.
Cette amnistie est ouverte avant que n’entre en vigueur en septembre 2017 l’Accord multilatéral entre Autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers signé à Paris, le 29 octobre 2014 sous les auspices de l’OCDE[19]. Ce traité, auquel la France est également partie, représente une opportunité sans précédent pour améliorer l’efficacité du système fiscal international. Les Etats s’obligeront à fournir aux administrations fiscales où une entreprise opère un ensemble d’informations à partir de ses comptes (chiffre d’affaire réalisé, impôt payé).
Le vaste (97 articles) texte, publié au « Boletín Oficial » le 22 juillet 2016 (pdf), permettra entre autres aux contribuables argentins de révéler l’existence de leurs actifs non ou mal déclarés jusqu’à fin mars 2017 afin de régulariser leur situation moyennant le paiement, éventuellement en plusieurs échéances, d’une somme libératoire au taux, selon les cas, de 5 à 15 pour cent de la valeur des actifs, ou moyennant la simple immobilisation, pendant trois à cinq ans, d’une partie des actifs bénéficiant de l’amnistie dans des instruments financiers spécifiques (par exemple un bon du trésor argentin à taux 0).
Cette amnistie étant complexe et ayant fait l’objet de plusieurs décrets d’application du Gouvernement et de circulaires des autorités fiscale, elle pourra faire l’objet d’un examen plus détaillé ultérieurement.
Mentionnons deux autres mesures fiscales importantes contenues dans cette même loi :
- L’Impuesto a la Ganancia Mínima Presunta est appelé à disparaître en 2019. Rappelons que cet impôt à la constitutionalité douteuse frappe aujourd’hui les revenus qu’une entreprise est réputée avoir tirés de son capital, que ces revenus aient ou non été réalisés ;
- L’Impuesto sobre los Bienes Personales est légèrement retouché.
2. Loi sur les Terres
Le gouvernement de Cristina Kirchner avait, fin 2011, réglementé l’acquisition et la possession de terre rurales par les étrangers. Cette loi, comme nous l’expliquions précédemment[20], limitait la possession de terres agricoles pour un étranger à 1 000 hectares (ou à son équivalent) et exigeait l’obtention préalable à la vente d’un « certificat d’autorisation » (certificado de habilitación).
Un décret du 29 juin 2016, sans modifier la loi en vigueur, vient résoudre certaines difficultés révélées par la pratique, assouplir et faciliter les conditions d’acquisition ou de cession de terres rurales pour les étrangers.
En quelques mots :
- la définition de qui est propriétaire au sens de la loi du 27 décembre 2011 est clarifiée : par exemple, l’usufruitier n’est clairement plus concerné ;
- s’agissant des personnes morales, la loi du 27 décembre 2011 considérait comme étrangères les sociétés de droit argentin dès lors que des étrangers contrôlaient ¼ du capital ou une fraction suffisante pour détenir le pouvoir de décision : le nouveau décret remonte ce seuil à 51 % du capital et laisse penser qu’il serait possible de prouver que même en ce cas le pouvoir de décision resterait argentin et que l’acquisition pourrait être réalisée. ;
- les partenaires enregistrés d’Argentins sont assimilés à des époux d’Argentins ;
- le nouveau décret précise explicitement que les héritiers réservataires étrangers qui deviendraient « involontairement » propriétaires de terres en excès de ce que permet la loi du 27 décembre 2011 ne seront pas obligés d’y renoncer ;
- la loi du 27 décembre 2011 disposait qu’elle ne portait pas atteinte aux droits acquis : le nouveau décret précise que non seulement les propriétaires étrangers de terres en excès de ce que leur permet la loi du 27 décembre 2011 au moment de son entrée en vigueur ne sont pas obligés de les céder mais que s’ils les cèdent, il pourront ensuite en acquérir l’équivalent ;
- la partie du dispositif largement déléguée aux provinces, à savoir la fixation de l’équivalence des 1 000 hectares précités et la définition des cours et plans d’eau qui ne doivent pas tomber entre les mains d’étrangers, est largement recentralisée au profit du pouvoir exécutif fédéral.
Nous renvoyons le lecteur qui voudrait en savoir davantage à notre note sur le sujet.
Les lettres d’information que nous diffusons n’ont qu’une valeur informative et ne constituent en aucun cas un avis juridique. Elles n’ont pas un caractère exhaustif et notre responsabilité ne saurait être engagée pour toute erreur ou omission.
[1] Nous vous l’annoncions dans un point d’actualité en date du 18 décembre : http://www.patelinconseil.com/en/18-decembre-2015-dernieres-informations-sur-le-controle-des-changes/
[2] http://www.patelinconseil.com/en/le-cedin/
[3] Soit le « joug ». Ensemble des mesures limitant l’échange de devises entre 2011 et 2015.
[4] Ci-après Banque Centrale ou BCRA
[5] A travers le Règlement “A” 5.850 du 17 décembre 2015, Banco Central de la República Argentina, “Mercado Único y Libre de Cambios”
[6] L’Administración Federal de Ingresos Públicos ou AFIP, i.e. l’agence en charge du recouvrement des impôts et des droits de douane. Ce n’est pas un équivalent exact de la direction générale des impôts et des douanes puisqu’elle jouit d’une grande autonomie et d’un véritable pouvoir réglementaire.
[7] Règlement “A” 5.245 de l’AFIP
[8] Règlement “A” 5.850 du 17 décembre 2015, de la Banque centrale de la République d’Argentine
[9] Résolution Générale n°3823 du 21 décembre 2015
[10] http://www.patelinconseil.com/en/lettre-dinformation-juillet-2015/
[11] http://www.lakaut.com.ar/img/news/secretaria-de-comercio_5013.pdf
[12] « obligación de ingreso y liquidación de las divisas »
[13] L’obligation de rapatrier les recettes des exportations ne s’applique pas qu’aux exportations de services mais aussi aux exportations de biens. A noter que, dans ce cadre, le délai de rapatriement a récemment été porté à 1 825 jours, soit cinq années, pour le secteur agricole, primordial pour le pays.
[14] Règlement “A” 5.899 du 4 février 2016 de la Banque Central de la République d’Argentine point 3.
[15] Règlement “A” 5.899 du 4 février 2016 de la Banque Central de la République d’Argentine
[16] https://www.boletinoficial.gob.ar/web2/utils/pdfView?file=%2Fpdf%2Fnorma%2F138329%2Fnull%2FPrimera%2FgFUKJLAvzCMiislashBarS5a6x2Bi1bLS1JVi1bLeYQ3W9INhl5mShGQi78ok4%3D%2F1
[17] http://lta.reuters.com/article/idLTAKBN0TX1GP20151214?pageNumber=2&virtualBrandChannel=0
[18] http://servicios.infoleg.gob.ar/infolegInternet/verNorma.do?id=257076
[19] http://www.oecd.org/fr/ctp/echange-de-renseignements-fiscaux/accord-multilateral-entre-autorites-competentes.htm
[20] http://www.patelinconseil.com/en/la-nouvelle-loi-no-26-737/
[21] Acuerdos de Ministros del 14 de julio de 1931 y del 30 de julio de 1931
[22] Ley N° 12.931 – Fíjase ele presupuesto de gastos de la Nación para el año 1947 del 10 de Enero de 1947
[23] Plus de 300 millions de dollars http://www.imf.org/external/np/fin/tad/extarr2.aspx?memberKey1=30&date1key=2016-05-31
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