Le nouveau code civil et de commerce de la Nation
LE NOUVEAU CODE CIVIL ET DE COMMERCE DE LA NATION
Un nouveau Code civil et de commerce de la Nation (en espagnol Código Civil y Comercial de la Nación, ci-après abrégé en CCCN) a été adopté par le Parlement argentin le 1er octobre 2014. Il est entré en vigueur le 1er août 2015.
Un droit commun à toute l’Argentine
Il n’est pas inutile de souligner que, à la différence de la situation d’autres Etats fédéraux dans lesquels chaque entité fédérée est compétente pour établir un certain nombre de règles en droit commercial et en droit civil, la constitution argentine prévoit explicitement en son article 75 12. (« Corresponde al Congreso […] dictar los Códigos Civil, Comercial, Penal, de Minería, y del Trabajo y Seguridad Social, en cuerpos unificados o separados, sin que tales códigos alteren las jurisdicciones locales, correspondiendo su aplicación a los tribunales federales o provinciales, según que las cosas o las personas cayeren bajo sus respectivas jurisdicciones; y especialmente leyes generales para toda la Nación sobre naturalización y nacionalidad, con sujeción al principio de nacionalidad natural y por opción en beneficio de la argentina: así como sobre bancarrotas, sobre falsificación de la moneda corriente y documentos públicos del Estado, y las que requiera el establecimiento del juicio por jurados. ») que le Parlement national est compétent pour établir un véritable droit commun dans les matières relevant entre autres des codes civil et de commerce. Si tout le droit civil et commercial argentin n’est pas exclusivement réglementé par le CCCN, d’autres lois éparses trouvant également à s’appliquer, le droit civil et commercial est ainsi unifié dans tout le pays, ce qui n’est pas le cas pour le droit judiciaire privé.
Des codes de Vélez Sarsfield à la loi n° 26.994
C’est dans ce cadre que furent promulgués le 10 septembre 1862 un Código de Comercio de la República Argentina et le 29 septembre 1869 un Código Civil de la República Argentina qui réglementèrent la matière jusqu’à l’entrée en vigueur du CCCN – ces deux codes sont généralement désignés sous le nom de leur auteur principal, D. Vélez Sarsfield.
Bien que déjà fortement modifiés (notamment par la loi n° 17.711 du 22 avril 1968), il a été décidé de refondre ces codes et de les actualiser.
La préparation de la réforme a été confiée à une commission ad hoc extraparlementaire (la Comisión para la Elaboración del Proyecto de Ley de Reforma, Actualización y Unificación de los Códigos Civil y Comercial de la Nación créée par un décret du 23 février 2011), présidée par le Dr. Ricardo Lorenzetti, président de la Cour suprême de justice de la Nation. La commission a rendu un projet le 31 mai 2012.
Le Pouvoir législatif a ensuite repris ses droits et a en définitive adopté le texte du CCCN,sans qu’il ne fasse l’objet de nombreuses modifications.
CCCN : présentation
Le CCCN compte 2 671 articles – le seul Code civil de Vélez Sarsfield en avait 4 051.
Le CCCN est précédé par un titre préliminaire qui rappelle un certain nombre de règles fondamentales en matière de bonne foi, des sources du droit, de l’application de la loi, des critères d’interprétation et de l’obligation de trancher les litiges pour le juge. Par ailleurs, il est explicitement fait référence aux derechos de incidencia colectiva, soit aux droits collectifs.
Le CCCN est ensuite divisé en six livres : partie générale, relations familiales, droits personnels, droits réels, transmission des droits pour cause de décès et dispositions communes aux droits personnels et réels (partie traitant de la prescription, des privilèges, du droit de rétention et du droit international privé).
CCCN : contenu
Exposer le contenu du CCCN reviendrait à exposer la quasi-totalité du droit civil et du droit commercial argentin, ce qui n’est pas l’objet de la présente note d’information. Nous n’aborderons donc qu’un certain nombre de points qui peuvent revêtir un intérêt particulier pour tout investisseur étranger : le traitement de la question de la monnaie de paiement ; celui du droit des sociétés ; celui relatif aux contrats et enfin nous aborderons la question de l’arbitrage.
La présente lettre d’information ne traitera que de ces deux premiers points, les deux derniers faisant l’objet d’une autre lettre d’information.
La question de la monnaie de paiement
Traditionnellement, dans les pays sud-américains, les étrangers préfèrent libeller leurs contrats en monnaie étrangère forte (dollar américain, euro, livre sterling, franc suisse…) plutôt que dans les monnaies locales des pays vers lesquels ils exportent leurs produits ou leurs services. En l’occurrence, en Argentine, les contrats internationaux écartent le plus souvent le peso au profit du dollar américain (ci après abrégé en USD) qui constitue la monnaie de compte mais également la monnaie de paiement, ainsi que le permettaient les articles 617 et 619 de l’ancien code civil, dans sa rédaction issue de la loi 23.928 du 27 mars 1991 instaurant le régime dit de la Convertibilidad, c’est-à-dire la mise en place d’un régime de change fixe entre l’USD et la monnaie argentine :
Artículo 617: Si por el acto por el que se ha constituido la obligación, se hubiere estipulado dar moneda que no sea de curso legal en la República, la obligación debe considerarse como de dar sumas de dinero.
Artículo 619: Si la obligación del deudor fuese de entregar una suma de determinada especie o calidad de moneda, cumple la obligación dando la especie designada, el día de su vencimiento.
Soit :
Article 617 : Si dans l’acte dans lequel a été constitué l’obligation, a été stipulé la remise de monnaie qui ne soit pas de cours légal dans la République, l’obligation sera réputée être de somme d’argent.
Article 619 : Si l’obligation du débiteur était de remettre une somme dans une espèce ou un type de monnaie déterminé, l’obligation sera payée en remettant le type de monnaie spécifiée, le jour de l’échéance.
Un système bi-monétaire était ainsi établi, permettant l’utilisation de monnaies étrangères tant comme monnaie de compte que de paiement. En revanche, toute indexation était prohibée.
Avec le renforcement du contrôle des changes à partir de 2011, certains débiteurs se sont trouvés dans l’incapacité de se procurer – à tout le moins en recourrant au Mercado Unico y Libre de Cambios, le marché officiel – les devises nécessaires pour procéder au paiement de leurs obligations.
De manière générale et sauf exceptions, les tribunaux saisis de ces difficultés se refusaient à permettre au débiteur de se libérer en pesos, considérant le plus souvent que l’existence de contrôles des changes ne revêtaient pas les caractéristiques d’un événement de force majeure et qu’il appartenait à celui qui s’était obligé de s’assurer de disposer des devises qu’il avait promis de donner. Une exception, remarquée, fut toutefois un arrêt rendu le 30 avril 2015 par la Cámara Nacional de Apelaciones en lo Civil – une cour d’appel – dans une affaire T. M. L. c/ F. G. A. s/ medidas precautorias art. 233 Código Civil par lequel un débiteur qui démontrait qu’il lui était impossible, compte tenu du contrôle des changes actuellement en vigueur, de se procurer les USD dont il avait besoin pour se libérer de sa dette libellée dans cette monnaie a été autorisé à la payer en pesos.
S’agissant du CCCN, le projet de texte établi par la commission Lorenzetti était le suivant :
Artículo 765.- Concepto. La obligación es de dar dinero si el deudor debe cierta cantidad de moneda, determinada o determinable, al momento de constitución de la obligación. Si por el acto por el que se ha constituido la obligación, se estipuló dar moneda que no sea de curso legal en la República, la obligación debe considerarse como de dar sumas de dinero.
Artículo 766.- Obligación del deudor. El deudor debe entregar la cantidad correspondiente de la especie designada, tanto si la moneda tiene curso legal en la República como si no lo tiene.
Soit :
Article 765.- Concept. L’obligation est de somme d’argent si le débiteur doit une certaine quantité de monnaie, déterminée ou déterminable, au moment de la constitution de l’obligation. Si dans l’acte dans lequel a été constitué l’obligation, a été stipulé la remise de monnaie qui ne soit pas de cours légal dans la République, l’obligation sera réputée être de somme d’argent.
Article 766.- Obligation du débiteur. Le débiteur doit remettre la quantité correspondante de l’espèce choisie, que la monnaie ait ou n’ait pas cours légal dans la République.
La continuité avec le système en vigueur était donc complète.
Cependant, le texte définitivement adopté par le Parlement est le suivant (dans un paragraphe intitulé Obligaciones de dar dinero, soit obligation de somme d’argent) :
Artículo 765.- Concepto. La obligación es de dar dinero si el deudor debe cierta cantidad de moneda, determinada o determinable, al momento de constitución de la obligación. Si por el acto por el que se ha constituido la obligación, se estipuló dar moneda que no sea de curso legal en la República, la obligación debe considerarse como de dar cantidades de cosas y el deudor puede liberarse dando el equivalente en moneda de curso legal.
Artículo 766.- Obligación del deudor. El deudor debe entregar la cantidad correspondiente de la especie designada.
Soit :
Article 765.- Concept. L’obligation est de somme d’argent si le débiteur doit une certaine quantité de monnaie, déterminée ou déterminable, au moment de la constitution de l’obligation. Si dans l’acte dans lequel a été constitué l’obligation, a été stipulé la remise de monnaie qui ne soit pas de cours légal dans la République, l’obligation sera réputée être de donner une quantité de choses et le débiteur pourra se libérer en donnant l’équivalent en monnaie ayant cours légal.
Article 766.- Obligation du débiteur. Le débiteur doit remettre la quantité correspondante de l’espèce choisie.
La rédaction du CCCN paraît donc singulièrement peu claire, sans que les intentions du Législateur ne permettent de se faire une opinion définitive sur le but recherché : à ceux qui estimaient que le Parlement souhaitait dissuader l’usage de devises étrangères comme monnaie de paiement, les représentants de la majorité ont protesté du contraire.
En l’état, force est de constater l’existence d’une contradiction entre les deux articles précités. Supposons un débiteur de USD : l’article 765 semble lui offrir l’option de se libérer en pesos tandis que l’article 766 paraît l’obliger à remettre des USD. La seule interprétation cohérente serait que ce débiteur :
– peut payer sa dette en USD, conformément au contrat,
– peut également la payer en pesos, par application de l’article 765,
– ne peut la payer dans une devise autre que celle prévue par le contrat, par application de l’article 766 : le créancier pourrait donc refuser de recevoir, par exemple, des euros ou des francs suisses.
Sauf intervention législative, il appartiendra aux tribunaux de clarifier la matière, les décisions à intervenir étant sans doute influencées par (i) le cas d’espèce qui leur sera soumis, (ii) le fait de considérer l’article 765 comme étant d’ordre public ou non et, sans aucun doute, (iii) la possibilité pratique d’acheter la devise étrangère au moment du paiement – et sur ce point les premières décisions économiques du nouveau président qui a pris ses fonctions le 10 décembre 2015 sont évidemment décisives.
Incidemment, il est important de noter que la question de savoir si cet article 765 est d’ordre public est d’autant plus importante qu’elle pourrait être invoquée par un débiteur de mauvaise foi domicilié en Argentine, bien que le contrat soit soumis à un autre droit que le droit argentin.
Signalons d’ores et déjà un arrêt rendu le 25 août 2015 par la même Cámara Nacional de Apelaciones en lo Civil, autrement composée, dans une affaire L., M. R. c/A., C. A. y otros s/ consignación et L. T. y otros c/F., M. R. s/ ejecución hipotecaria (pour plus de précisions, voir Edgardo I. Saux, Las deudas en moneda extranjera, la autonomía de la voluntad y el Código Civil y Comercial de la Nación, Temas de Derecho Civil, Persona y Patrimonio) par lequel la cour a refusé d’autoriser un débiteur à payer en pesos sa dette libellée en USD au motif que le contrôle des changes actuellement en vigueur ne rendait pas impossible de se procurer des devises étrangères, notamment au moyen d’un blue-chip swap (nous vous renvoyons à notre lettre d’information de mai 2015 pour une description de ce type de transactions). Un aspect singulier de cet arrêt est qu’il fait expressément référence au CCCN, qui n’était évidemment pas en vigueur au moment de la constitution de l’obligation litigieuse, pour retenir que l’article 765 du CCCN n’est pas d’ordre public et qu’il est loisible aux parties d’y déroger.
Précisons enfin que la question de la monnaie de paiement fait encore l’objet de règles spécifiques dans certains cas particuliers : par exemple, l’article 1390 du CCCN prévoit que les sommes déposées sur un compte bancaire doivent être restituées dans la devise dans laquelle le dépôt a été constitué. On verra ici un écho au fameux corralito de 2001-2002 et au décret n° 214/2002 du 3 février 2002 par lequel les dépôts bancaires en monnaies étrangères furent autoritairement convertis en pesos.
On voit donc que la matière est complexe et qu’il conviendra donc de rédiger comme c’est le cas aujourd’hui des clauses sur-mesure selon la nature et l’objet du contrat lorsque ce contrat sera soumis ou pas au droit argentin et qu’une devise qui ne serait pas le peso serait la monnaie choisie par les parties.
Le droit des sociétés
Le traitement du droit des sociétés par la loi n° 26.694 promulguant le CCCN est double.
D’une part, le CCCN lui-même consacre vingt-sept articles aux personnes morales en général.
D’autre part, cette loi n° 26.694 prévoit des modifications à la loi n° 19.550 qui, à l’image de l’ancienne loi française n° 66-537 du 24 juillet 1966, régit les sociétés commerciales proprement dites : l’essentiel du droit des sociétés n’est donc pas intégré au CCCN mais demeure dans une loi indépendante (qui est rebaptisée : la Ley de Sociedades Comerciales devient Ley General de Sociedades, ci-après la « LGS »).
Les modifications apportées expressément par la loi sur le fond au droit des sociétés sont mineures, la seule nouveauté significative étant la possibilité de constituer des (ou de transformer une société anonyme ordinaire en) sociétés anonymes unipersonnelles (art. 1er LGS) ou SAU. Cette institution nouvelle en droit argentin peut s’avérer être un véhicule intéressant pour les investisseurs étrangers malgré certaines limitations : interdiction pour une SAU d’être elle-même l’associée unique d’une autre SAU (art. 1er LGS : ce n’est donc pas un mécanisme permettant d’organiser des groupes de sociétés), obligation de libérer la totalité du capital (art. 11 LGS) et alignement sur le régime des sociétés ayant un capital de plus de dix millions de pesos (plus ou moins 900 000 euros au 4 décembre 2015) pour l’administration (obligation pour le conseil d’administration d’être composé d’au moins trois membres…) et le contrôle exercé par l’Etat (art. 299 LGS). La LGS n’interdit pas expressément que la SAU soit constituée par une société étrangère et est muette sur le régime fiscal des SAU.
Les dispositions du CCCN proprement dites se veulent un régime général des personnes morales. Les points les plus saillants, sans chercher à être exhaustifs, nous semblent être les suivants.
Une clarification bienvenue concerne la question du début de l’existence de la personne morale : l’article 142 précise clairement qu’il s’agit du jour de la constitution (signature des statuts) et non de celui de l’enregistrement. Il existait un débat sur ce point alors que les délais d’enregistrement des formalités par les registres du commerce et des sociétés (tenus au niveau des provinces) compliquaient souvent les premiers pas des sociétés nouvellement formées.
Par ailleurs, comme en droit français, il est précisé que les modifications des statuts ont effet entre les parties dès que la décision est prise mais ne sont opposables aux tiers qu’après enregistrement de la modification ou s’il est démontré que le tiers en avait connaissance (art. 157).
L’article 155 du CCCN reprend le principe selon lequel, sauf convention contraire, les personnes morales ont une durée de vie illimitée, contrairement au droit français.
Des règles supplétives sont fixées à l’article 158 du CCCN pour régler la gouvernance des personnes morales de droit privé. La porte est notamment ouverte à la tenue de réunions virtuelles, tous les participants ne se trouvant pas physiquement dans le même lieu. Les décisions prises par l’unanimité des associés qui se seraient autoconvoqués, en l’absence de convocation régulière (par le conseil d’administration en ce qui concerne les sociétés anonymes), sont valables.
Enfin, la nature et la portée des devoirs, de la responsabilité et des pouvoirs des administrateurs sont mentionnées aux articles 159 et suivants du CCCN.
En conclusion, en dehors de l’apparition des SAU, le droit argentin des sociétés est peu affecté mais des clarifications qui ne sont pas sans intérêt sont apportées alors qu’il était souvent difficile de répondre clairement à des questions régulièrement posées (notamment la question du début de l’existence de la société et celle de l’autoconvocation des assemblées générales) en raison de jurisprudences divergentes. Il faudra évidemment être attentifs aux décisions que commencent déjà à prendre les tribunaux dès lors que de nouvelles normes produisent souvent des effets imprévus par leurs auteurs.
Les lettres d’information que nous diffusons n’ont qu’une valeur informative et ne constituent en aucun cas un avis juridique. Elles n’ont pas un caractère exhaustif et notre responsabilité ne saurait être engagée pour toute erreur ou omission.
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